Depuis le temps que je vous parle de l’Île de Beauté, il fallait bien que je vous écrive un jour un billet un peu généraliste sur les vins corses. Un billet dont vous excuserez j’espère la longueur, j’ai en effet essayé d’être exhaustive ou presque pour répondre à toutes les questions que vous pourriez vous poser.
Quand on évoque la Corse, les plages paradisiaques et les vues à couper le souffle « tra mare e monti » (entre mer et terre) sont les premières choses qui viennent spontanément à l’esprit de la plupart des gens. Certains les imaginent sur un fond de polyphonies corses quand les gourmands salivent en pensant aux spécialités culinaires locales (je ne parle bien sûr pas du saucisson d’âne qui est un mythe !).
Mais il ne faut pas oublier que c’est aussi une terre viticole où les amateurs de vin en herbe et les œnophiles aux palais plus affutés trouveront de quoi émoustiller leurs papilles.
La Corse regorge en effet de jus de toute beauté, à l’image de l’île sur laquelle ils ont vu le jour.
Pour découvrir ces pépites, il faut cependant se montrer curieux car les vins corses ne sont pas toujours faciles à trouver sur le continent.
Il faut dire qu’une grosse partie de la production est écoulée localement (60% de la production pour les vins AOP et 30% de la production pour les vins de pays).
Mais trêve de bavardages, rentrons dans le vif du sujet.
Histoire du vignoble corse
Si la vigne était probablement présente à l’état sauvage bien avant l’arrivée des Grecs, sa culture ne commence réellement qu’à l’Antiquité (plus précisément au VIe siècle avant J.-C.) avec nos amis les Phocéens qui décident de construire sur la côte orientale de la Corse le comptoir d’Alalia (Aléria aujourd’hui) et d’y implanter la vigne comme culture coloniale.
Quelques siècles plus tard, les Romains prennent le relais et vont même plus loin en développant la viticulture corse grâce à leurs connaissances en agronomie.
Manque de bol, l’Empire Romain finit par s’effondrer et la Corse subit pendant plusieurs siècles les assauts d’envahisseurs divers et variés. Un climat peu propice pour faire prospérer la vigne.
Heureusement, au XIe siècle après J.-C., les Pisans débarquent pour remettre de l’ordre et la vigne reprend un rôle commercial majeur, en partie sous l’impulsion des moines.
Cette embellie perdure pendant l’occupation génoise puis quand l’île devient française.
La Corse voit même sa production viticole plus que doubler entre 1788 et 1896 et se tourne vers une agriculture de marché.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin.
2 maladies, l’oïdium puis le phylloxéra, ravagent une partie du vignoble vers le milieu du XIXe siècle.
C’est ensuite à une surproduction et à un effondrement général des prix que la viticulture corse doit faire face au début du XXe siècle, avant que la Première Guerre Mondiale ne parachève ce déclin.
Conséquence directe de ces crises successives : près de la moitié du vignoble corse disparaît.
Ce n’est que dans les années 60 que la viticulture insulaire redevient un véritable secteur économique, avec l’arrivée des rapatriés d’Algérie.
Une nouvelle viticulture, plus industrielle, voit le jour avec l’accroissement de la surface viticole, la plantation de cépages à gros rendements (Carignan, Cinsault, Grenache notamment) et l’utilisation à outrance de la chaptalisation (technique qui consiste à ajouter du sucre au moût pour augmenter le degré d’alcool final du vin après la fermentation alcoolique).
Mais l’évolution de la demande des consommateurs vers des vins de meilleure qualité et la fin du droit à chaptaliser à partir de 1972 vont vite priver de débouchés cette nouvelle viticulture corse.
Ce qui va l’obliger à se renouveler en réduisant drastiquement les surfaces viticoles (pour atteindre les 5 560 ha que le vignoble corse compte aujourd’hui) et en remettant au premier plan la qualité.
Et ce, pour le grand bonheur de nos autres consommateurs puisque cette démarche qualitative a permis au fil des années de mieux valoriser le patrimoine viticole insulaire, en réhabilitant notamment nombre de cépages autochtones, et de mettre ainsi en lumière ce qui fait la force des vins de Corse : leur singularité.
Un cadre naturel incomparable
Ce qui contribue à la singularité des vins corses c’est d’abord le climat spécifique et la diversité géologique dont jouit l’Île de Beauté.
Au niveau climatologie, la Corse profite d’un climat méditerranéen propice à la culture de la vigne, avec en particulier un ensoleillement exceptionnel (2 885 heures de soleil par an en moyenne – ça fait rêver, n’est-ce pas ?).
Mais sa latitude, qui joue un rôle déterminant sur la pluviométrie de l’île, et le fait qu’elle soit « une montagne dans la mer » lui confèrent également des caractéristiques climatiques spécifiques.
L’influence combinée de la mer et de la montagne se traduit ainsi par des températures relativement clémentes tout au long de l’année sur la zone côtière et son immédiat arrière-pays, là où l’on retrouve la majorité des vignes.
Les nombreuses brises marines jouent également un rôle important pour assainir le vignoble.
La singularité des vins insulaires tient aussi à la diversité naturelle des sols corses.
On distingue ainsi 4 grandes régions géologiques :
• la Corse ancienne de l’ouest, qui occupe les deux tiers de l’île et où le granit est roi.
• la Corse alpine de l’est, marquée par ses nombreuses variétés de schistes.
• le nord-ouest et l’extrême sud, où le calcaire règne en maître.
• la Côte Orientale, composée de sols argileux ou silico-argileux.
Une richesse ampélographique exceptionnelle
Superbe photo prise par l’agence Take a Sip au domaine Abbatucci – Crédit photo : Mathieu Drouet
Outre le climat et la diversité des sols, c’est aussi et surtout l’encépagement si spécifique du vignoble de l’Île de Beauté qui confère un caractère unique aux vins corses.
Quand certaines régions sont cantonnées à quelques cépages que l’on trouve un peu partout dans le monde (comme le cabernet-sauvignon ou le chardonnay par exemple), la Corse peut s’enorgueillir de posséder un impressionnant capital ampélographique avec pas moins d’une trentaine de cépages.
Si l’on trouve encore quelques cépages allogènes, ce sont les cépages identitaires que les vignerons s’efforcent de mettre en avant depuis plusieurs années, avec l’aide du CIVC (Conseil Interprofessionnel des vins de Corse) et du CRVI (Centre de Recherche des Vins de Corse).
De grands vignerons de l’île ont d’ailleurs largement contribué par leur travail à redonner leurs lettres de noblesse à certains cépages oubliés de Corse, quitte à parfois sortir leurs vins d’un système d’AOP trop contraignant.
C’est le cas par exemple d’Yves Canarelli près de Figari, d’Antoine Arena à Patrimonio ou encore de Jean-Charles Abbatucci dans la vallée du Taravo (le domaine Comte Abbatucci possède une importante collection d’anciens cépages autochtones représentant un trésor inestimable pour le vignoble corse).
Parmi cette multitude de cépages identitaires aux noms chantants, on peut considérer que six d’entre eux se détachent du lot (les trois premiers sont tout simplement emblématiques de la Corse) :
- le niellucciu (niellu voulant dire « noir, sombre, dur ») :
Ce cépage rouge, présent en Corse depuis des siècles et ampélographiquement identique au sangiovese toscan, est le cépage roi de Patrimonio et représente à lui seul 35% des vignes corses.
S’il règne en maître sur l’appellation Patrimonio c’est parce que les sols argilo-calcaires que l’on y trouve lui conviennent parfaitement.
Le niellucciu est un cépage d’un joli noir bleuté qui donne naissance à des vins rouges à la robe plutôt soutenue et aux arômes de fruits rouges et noirs avec parfois des nuances boisées, qui évoluent en vieillissant vers des arômes épicés et parfois même vers des notes animales.
Le niellucciu étant riche en tanins, les vins issus de ce cépage sont réputés pour être des vins charnus et plutôt charpentés, avec une finale parfois trop astringente dans leur prime jeunesse.
Ce sont ces mêmes tanins qui en font de très bons candidats au vieillissement. Il suffit de boire les vieux Patrimonio de quelques grands vignerons de l’île pour se rendre compte que les vins à base de niellucciu peuvent se révéler de très grands vins de garde.
Vinifié en rosé, le niellucciu donne également des vins de qualité à la robe rose vif, très fruités, frais et élégants.
- le sciaccarellu (qui veut dire « croquant, craquant sous la dent ») :
C’est l’autre cépage rouge incontournable du vignoble insulaire, que l’on trouve plus particulièrement en Corse du Sud. Il fait notamment des merveilles sur les sols granitiques de la région d’Ajaccio.
Le sciaccarellu donne naissance à des vins rouges souples, d’une grande finesse, aux arômes de petits fruits rouges, d’épices (de poivre notamment), de bois grillé et de fleurs du maquis.
S’ils peuvent être appréciés jeunes, ils supportent souvent très bien le vieillissement.
J’irais même jusqu’à dire que les meilleurs d’entre eux soutiennent aisément la comparaison avec de très bons vins de Bourgogne.
Vinifié en rosé, le sciaccarellu donne des vins fins et très aromatiques à la robe rose clair à saumon.
- le vermentinu (que l’on appelle aussi malvasia ou malvoisie de Corse) :
Ce cépage blanc méditerranéen, connu sous le nom de « rolle » dans le sud de la France, est présent en Corse depuis plusieurs siècles et figure comme le cépage principal des vins blancs insulaires. Environ 1 150ha de vignes lui sont dédiés, autant vous dire qu’on le retrouve un peu partout sur l’île.
Le vermentinu donne naissance à des vins blancs pâles, d’une très grande richesse aromatique avec des notes très florales et parfois minérales. En bouche, ce sont des vins avec du gras, amples et puissants.
On conseille en général de boire les vins à base de vermentinu assez jeunes, dans les 2-3 ans, mais je trouve que certains vieillissent également très bien (je pense notamment aux vins blancs du Clos Nicrosi par exemple), même si leur profil aromatique évolue avec des arômes floraux qui s’estompent au profit de notes plus minérales et un peu pétrolées.
Le vermentinu donne indéniablement de très grands vins blancs en Corse, et sous le climat méditerranéen de façon plus générale, aussi n’est-il pas étonnant qu’un projet oenotouristique de Route du Vermentinu soit en cours d’étude dans le cadre d’une coopération transfrontalière avec l’Italie (le cépage étant également très présent en Sardaigne, en Toscane et en Ligurie).
Si le vermentinu s’exprime pleinement dans les vins blancs, associé à des cépages noirs, il donne aussi des rosés à forte personnalité.
- le bianco gentile (ou biancu gentile) :
Remis au goût du jour par des vignerons comme Antoine Arena (ce dernier l’a replanté en 1996 sur son vignoble de Patrimonio) ou Yves Canarelli, ce vieux cépage blanc typiquement corse n’occupe encore aujourd’hui qu’une surface infime du vignoble insulaire (et si, je ne dis pas de bêtises, il n’est toujours accepté dans les cahiers des charges des appellations).
Le bianco gentile donne des vins clairs à cristallins, aux reflets pouvant aller du vert-jaune au doré lorsqu’il atteint une maturité importante.
Très expressifs au nez, ils révèlent différents profils aromatiques (des touches de fruits exotiques et agrumes, parfois des notes abricotées, une bouche plus ou moins ample…) selon l’emplacement géographique où le bianco gentile s’est développé et selon sa vinification, mais ils se caractérisent presque toujours par une grande fraîcheur.
- l’aléatico :
Présent depuis des siècles en Corse (et également en Italie), ce cépage noir occupe de petites superficies sur la Côte Orientale, ainsi que dans les régions de Porto-Vecchio et du Cap Corse.
L’aléatico donne naissance à des vins de couleur vive et foncée avec de légers reflets violacés. Marqués par des arômes muscatés et floraux assez étonnants, ces vins s’avèrent puissants et bien équilibrés, avec des degrés alcooliques souvent élevés, une bonne acidité et une faible teneur en tanins.
C’est aussi le cépage avec lequel est élaboré le fameux Rappu du Clos Nicrosi dont je vous avais parlé à l’occasion de l’une des éditions des Vendredis du Vin.
- le barbarossa (ou barbirossa, qui veut dire « à la barbe rousse ») :
Alors celui-là, je dois bien avouer que je ne l’aurais pas cité spontanément mais, selon le dossier de presse 2014 disponible sur le site internet des Vins de Corse, il figure parmi les cépages reconnus comme étant les plus nobles de l’Île de Beauté.
Donc je vais me contenter de citer le dit dossier de presse concernant ce cépage :
Il « est présent sur les appellations Sartène, Porto-Vecchio, Figari, Ajaccio et Cote Orientale. Il permet l’élaboration de vins blancs cristallins de couleur claire, parfois parsemée de reflets jaunes. Ses effluves sont très aromatiques et l’aspect floral bien prononcé. La bouche, quant à elle, est bien équilibrée. »
Un vin pluriel
Source : dossier de presse disponible sur le site des Vins de Corse
Comme vous vous en doutez, avec une telle diversité de terroirs et de cépages, le vin corse ne peut qu’être pluriel.
Cette pluralité prend la forme de 9 appellations d’origine protégée (les anciennes AOC) :
• 2 appellations de type « Cru » : l’AOP Ajaccio et l’AOP Patrimonio
• 5 appellations de type « Villages » : l’AOP Corse Calvi, l’AOP Corse Sartène, l’AOP Corse Figari, l’AOP Corse Porto-Vecchio et l’AOP Corse Coteaux du Cap Corse
• 1 appellation de type « Régionale » : l’AOP Corse
• 1 appellation pour les vins doux naturels : l’AOP Muscat du Cap Corse
A ces 9 appellations, s’ajoutent les IGP de l’Île de Beauté (indication d’origine protégée), qui se déclinent en vins de cépages et en vins de Pays Primeur.
Au final, que vous soyez plutôt rouge, blanc ou rosé ou que vous ne juriez que par les vins moelleux, je suis quasi certaine que vous trouverez chaussure à votre pied dans l’incroyable palette des vins corses (il y a même une version pétillante du muscat pour les amateurs de bulles !).
Les vins corses en chiffres
Pour finir, je vous laisse avec une infographie réalisée récemment par le CIVC qui vous permettra de briller en soirée 😉
Et si vous cherchez quelques noms de domaines à découvrir absolument lors d’une prochaine visite sur l’Île de Beauté, voici quelques idées (la liste n’est pas exhaustive). Je vous ai mis les liens vers les billets du blog quand il s’agit de vins ou de vignerons dont j’ai déjà parlé ici :
• Dans le Cap Corse :
Le Clos Nicrosi, le domaine Pieretti
• Près de Patrimonio :
Le domaine Arena, le domaine de Nicolas Mariotti-Bindi, le domaine de Marie-Françoise Devichi, le domaine E Croce (d’Yves Leccia), le domaine Gentile, le Clos Teddi, le Clos Alivu, le Clos Marfisi (très actif sur Instagram)
• Près de Calvi :
Le Clos Landry, le domaine d’Alzipratu
• Près d’Ajaccio :
Le domaine Comte Abbatucci, le domaine de Vaccelli, le domaine U Stiliccionu, le Clos d’Alzeto (près de Sagone), le Clos Capitoro
• Près de Sartène :
Le domaine Sant’Armettu, le domaine Castellu di Baricci, le domaine Fiumicicoli, le domaine Saparale
• Près de Figari :
Le Clos Canarelli
• Près de Porto-Vecchio :
Le domaine de Torraccia
• Près d’Aléria :
Le Clos Canereccia, le Clos Fornelli
Voilà, je crois que vous savez tout ou presque sur les vins corses.
Reste plus qu’à les découvrir.
A prestu !
NB : pour ceux qui veulent en savoir encore plus sur les vins de Corse, je vous conseille ce livre de Patrick Fioramonti. Il date un peu mais il est très complet et les photos qui l’illustrent sont tout simplement magnifiques.
[…] Un billet pour tout savoir sur les vins corses, des jus de toute beauté, à l'image de l'île sur laquelle ils ont vu le jour. […]
[…] femmes dans le monde du vin en Corse (qui mériterait d’ailleurs d’être rajouté dans mon article généraliste sur les vins corses) […]
[…] #2 Tout, vous saurez tout sur les vins corses ! […]
Merci pour cet article très documenté Maïlys,
Les vins Corses ne sont pas parmi les plus réputés et cela à tort. Ils n’ont rien à envier aux vins en provenance du territoire hexagonal.